“En somme, si vous pouviez regarder de la Lune [...] les agitations innombrables de la Terre, vous penseriez voir une foule de mouches ou de moucherons qui se battent entre eux, [...] et l'on ne peut croire quels troubles, quelles tragédies produit un si minime animalcule destiné à sitôt périr." La perception de l'humanité à travers la métaphore animale de l'essaim, du groupement d'insectes, est employée dans l'Éloge de la Folie, lorsque Érasme invite le lecteur à adopter le point de vue surplombant des dieux qui “ vont s'asseoir dans la partie la plus haute du ciel, pour regarder ce que font les humains ». Cette métaphore, qui correspond donc à un dispositif optique, lui permet de développer un propos à la fois philosophique et politique : en insistant sur la précarité de l'humanité et en relativisant son importance dans l'univers, il critique radicalement l'idée même de sagesse, et plus particulièrement la doctrine de l'Église.

À partir de cet exemple paradigmatique, mon intervention portera sur les réemplois littéraires et artistiques de cette métaphore, et sur leurs usages politiques. Elle se retrouve notamment la science-fiction contemporaine : les premières pages du roman La Guerre des mondes et les dernières minutes du film The Rocky Horror Picture Show opèrent un décentrement similaire, remplaçant le point de vue des dieux par celui des extra-terrestres — en mettant l'accent à la fois sur l'impossibilité de penser l'humanité autrement que comme groupe solidaire, ainsi que sur sa grande fragilité, ces œuvres font signe vers une perception écologique de l'humanité au sein de l'univers. Je serai particulièrement attentif aux œuvres qui revalorisent cette métaphore animale pour se l'approprier, et présenter l'essaim comme organisation sociale désirable, comme La révolte des cafards d'Oscar Zeta Acosta.

Mots clés : insectes, optique, politique, écologie