La pensée de Donna Haraway, moins une philosophie qu'une construction de figures matérielles-sémiotiques qui émergent de situations, réelles ou imaginaires, interroge la sociabilité multispécifique et le codevenir entre espèces. Cette intervention revient sur la pratique de la fabulation spéculative de Donna Haraway dans le récit fictif de « communautés du compost » à venir. Ce texte récent, qui a reçu en France une attention limitée, figure la génération de nouvelles façons de vivre et de mourir avec les non-humains et interroge les enjeux éthiques de cette coexistence incarnée.
Presque dix ans après le colloque à Cerisy ayant inspiré ce récit, si les figures qui y sont déployées conservent une actualité certaine – notamment la vulnérabilité et la plasticité des corps –, il convient de réinterroger sa force critique à l'ère des épidémies d'origine zoonotique, hypothèse formulée par exemple pour le Covid-19. Au Chthulucène, la figure de la puissance des terriens, sur laquelle s'ancre le récit, se substitue désormais le Pathocène (Bartholeyns), qui nous invite à partir de nos relations aux animaux d'élevage, dont les effets sanitaires et écologiques dévastateurs ne sont plus à démontrer. Nous suggérons ainsi qu'une éthique de la relationalité multispécifique qui prenne au sérieux l'invitation à habiter le trouble des communautés du compost implique de renoncer à l'élevage en re(con)figurant de nouvelles socialités incarnées de soin, de récupération et de respons(h)abilité.
Notice biographique :
Ombre Tarragnat est doctorant·e en études de genre et philosophie. Suite à deux mémoires de recherche sur les rapports incarnés entre humains et animaux chez Judith Butler et Donna Haraway, ses recherches interrogent l'encorporation des vivants sur le plan phénoménologique à partir des féminismes posthumains et néomatérialistes et de la question des neurotypes.